Newsletter n°15

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Reproduction des requins citron de Moorea

Par Johann Mourier

Dans la continuité des études menées par le CRIOBE sur la population de requins citron de Moorea qui ont débuté par le diplôme EPHE de Nicolas Buray (notamment la photo-identification des individus visitant le site d’Opunohu), voici de nouveaux résultats concernant la reproduction et les liens génétiques entre ces individus. Ces résultats récompensent 5 ans d’effort de suivi journalier de la population d’Opunohu à Moorea qui a permis d’estimer le population locale à une quarantaine d’individus.

Dans un premier temps, les marques naturelles sur le corps des requins citron ont été utilisés pour identifier et différencier chaque individu et ainsi permettre de décrire la structure de la population et quantifier leur degré de résidence et d’attachement au site d’Opunohu (Buray et al. 2009; Clua et al. 2010). Ceci s’est fait sur le long-terme cumulant plus de 1000 plongées d’observation. Cette première partie de l’étude a permis de montrer que les requins qui fréquentaient le site d’Opunohu se divisaient en plusieurs catégories avec des résidents (présent toute l’année sauf en période de reproduction) et des non-résidents. Certains résidents ont montré une augmentation de leur degré d’attachement au site au cours des 5 années.

Ce fort attachement au site de feeding a laissé de nombreuses interrogations concernant les conséquences potentielles en termes de dynamique des populations et de la vulnérabilité d’une telle petite population. Alors que le shark-feeding ne semblerait pas modifier les migrations des mâles et femelles lors de la reproduction, l’étape suivante a donc été de mieux comprendre la reproduction et le renouvellement de la population de cette espèce assez méconnue.

L’étude a donc utilisé la même approche que pour les requins à pointes noires (Newsletter N°9), c’est-à-dire l’outil génétique. Des tissus de requins citron adultes ont été prélevés à l’aide d’un fusil harpon modifié muni d’un emporte-pièce à son extrémité et qui, en tirant au milieu de l’aileron dorsal, permet de prélever un morceau de tissus. Cette méthode est très peu invasive et permet de sélectionner les requins identifiés que l’on veut prélever, évitant ainsi de les pêcher. L’aileron va se régénérer et cicatriser en quelques jours.

Ainsi, l’ADN de 29 requins citron de Moorea et 4 femelles de Bora Bora a pu être collecté. Ensuite, 52 juvéniles requins citron ont été capturés à l’aide d’un filet dans leurs nurseries entre 2006 et 2009 sur Moorea et Tetiaroa principalement. Quatre nurseries ont été identifiées sur Moorea et 3 sur Tetiaroa, toutes abritant des requins citron juvéniles. Un prélèvement ADN a été effectué sur chaque juvénile capturé avant de les relâcher dans leur milieu.

Grâce à l’ADN, les relations génétiques (familiales) entre les requins citron adultes ont été reconstruites permettant la création d’un réseau génétique qui illustre que tous les requins échantillonnés de Moorea et Bora Bora (sauf un) sont interconnecté génétiquement par des liens allant du demi-frère/sœur, en passant par le lien frère/sœur et enfin parent/enfant (Figure 1). Ces résultats soulignent le fait que la population est vraisemblablement relativement petite et que les requins migrent entre les îles.


Figure 1: Réseau génétiques illustrant les relations familiales proches entre les requins citron adultes. Les carrés représentent les mâles et les cercles les femelles.

Les interrogations se sont ensuite portées sur le cycle de reproduction de cette espèce. Par un suivi en plongée de la gestation et des comportements liés à la reproduction, il a été possible de mettre en évidence que les femelles mettaient bas tous les 2 ans pour une période de gestation durant 10 à 11 mois (Figure 2).

Figure 2: La femelle F11 (plus communément appelée Noeilnoeil) est gravide en 2007 (A) puis en repos en 2008 (B), porte des marques d’accouplement fin 2008 (C) et de nouveau gravide en 2009 (D), suivant donc un cycle de 2 ans. A l’inverse, la femelle F01 fait exception et se reproduit en 2008 et 2009 (E-F) suivant exceptionnellement un cycle d’un an.

Finalement, une recherche de la progéniture de ces femelles a été effectuée sur Moorea et Tetiaora. En s’appuyant sur des analyses génétiques de parenté, il a été possible dans certains cas de relier le génotype des juvéniles à celui de leurs parents dans la population. Cette entreprise représentait un défi puisqu’il fallait obtenir l’ADN du maximum d’adultes et juvéniles possibles afin d’avoir des chances de retrouver les parents dans la population. Les résultats ont montré à la fois que les femelles, tout comme les requins à pointes noires, revenaient à chaque fois mettre bas sur le même site de nurserie (philopatrie), et qu’elles faisaient de la polyandrie ou paternité multiple (portées de juvéniles issus de pères différents). Enfin, alors que cette espèce a développé une réelle stratégie de contournement de la consanguinité faisant intervenir des mécanismes comme la dispersion et les migrations afin d’éviter de se reproduire entre individus apparentés,  cette population a montré une faible variabilité génétique et un niveau de consanguinité relativement élevé en comparaison avec d’autres espèces, qui pourrait s’expliquer par une petite taille de population et par le caractère fragmenté et l’isolation des îles de Polynésie qui serait un frein aux flux génétiques entre les populations à plus grande échelle.

Les résultats de cette étude ont été publiés dans la revue scientifique PLoS One et sont en accès libre:

Mourier J, Buray N, Schultz JK, Clua E, Planes S (2013) Genetic Network and Breeding Patterns of a Sicklefin Lemon Shark (Negaprion acutidens) Population in the Society Islands, French Polynesia. PLoS ONE 8(8): e73899.

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